"Pour un développement humain, intégral, solidaire et participatif, en harmonie avec le vivant"

 
 
 
 
 
 
 
 

COP 27 Appel œcuménique à la sobriété Actualités Georgio Sebregondi, acteur et penseur du développement en Italie, ami de Louis-Joseph Lebret

 

MAMADOU-DIA-2019

 

Le 2 juillet dernier a été fondée à Dakar la Fondation Mamadou Dia pour une Économie humaine dont le Président est Roland Colin et le Vice-Président Moustapha Niasse, ancien Président de l'Assemblée nationale du Sénégal, qui vient de se retirer de la vie politique active.

Mamadou Dia est une des figures des indépendances africaines en même temps que Leopold Senghor, Patrice Lumumba, Julius Nyerere, Kwame Nkrumah. Roland Colin qui fut ensuite Président de l'IRFED a été chef de cabinet de Mamadou Dia quand celui-ci était Premier Ministre.

L-J Lebret a travaillé étroitement avec Mamadou Dia et Roland Colin à un plan de développement du Sénégal, avant d'entrer en conflit avec Senghor et connaître de dures années d'exil.

Roland Colin présente ici la nouvelle Fondation avec laquelle le RIEH va coopérer très étroitement.

 

 

 

Sur les traces de Mamadou Dia, une Fondation pour actualiser et promouvoir son message.

 

Mamadou Dia a traversé de rudes épreuves dans sa vie militante et ses engagements au service de la nation sénégalaise et des peuples africains. Dès son entrée dans la vie d’homme, il mesure l’impératif de se libérer du joug colonial.

Une première carrière d’instituteur le conduit à partager, dans le vécu concret, les termes des luttes à mener à cette fin : sortir du modèle de gouvernance exogène pratiqué par les maîtres du jeu, promouvoir l’authenticité créatrice générant une citoyenneté d’homme libre gageant la modernité sur la fidélité aux valeurs de la culture des racines.

 

Il innove, rassemble, avance, jusqu’à la terrible césure vécue dans une prison longue et cruelle. C’est, pour lui, avec un courage exemplaire, le temps d’une retraite assumée intellectuellement et spirituellement, conduisant à une méditation sur les enjeux fondamentaux de la condition humaine solidaire.

 

En recouvrant la liberté, il témoigne de ses convictions confortées dans les épreuves de la souffrance,. Pour lui, la nouvelle Afrique libérée ne peut se concevoir que si les choix démocratiques restaurant la dignité humaine des citoyens sont portés par une participation, soutenue par une prise de conscience des responsabilités que leur confère leur condition d’hommes et de femmes où se rejoignent leurs droits et leurs devoirs. L’acquisition des compétences correspondantes en est le corollaire essentiel pour mener les actions exigées par le nouveau développement démocratique. Il en résulte alors que le maître-mot est l’avènement d’un partenariat équilibré dans les rapports entre la base et le sommet, entre le peuple et l’appareil d’État, entre les citoyens, hommes et femmes, entre les générations pour organiser, dans la justice, à la fois l’épanouissement personnel et l’optimum du vécu social, ce qui représente la finalité essentielle du développement.  

 

Mamadou Dia ne s’en tient pas au domaine des idées. Il assume pleinement sa position d’acteur du développement dans toutes ses dimensions. À ce titre, dans l’année qui suit sa libération, il décide de créer un structure pour donner corps aux réalités à promouvoir. Le 13 avril 1975, avec un groupe de compagnons, au nombre desquels Joseph Ki-Zerbo et Cheikh Hamidou Kane, se tient à Dakar l’Assemblée constitutive de l’Internationale Africaine des Forces pour le Développement (IAFD), à laquelle j’ai eu l’honneur de participer. La vision fondatrice, exprimée par Mamadou Dia et soutenue par ses compagnons, met en évidence, comme conséquence des blocages dans la grande étape historique de transition à l’instauration de la liberté, la nécessité de remettre en cause la dépendance univoque de la population à l’égard de l’appareil de gouvernance. Il s’agit de transformer le rapport entre l’État et la société civile. Bien des années après, ce même paradigme sera à la base du grand Forum Social Mondial de Porto Alegre, au Brésil. L’IAFD apparaît ainsi comme un chaînon précurseur.

 

Dans sa déclaration initiale lors de l’Assemblée constitutive de l’ IAFD, Mamadou Dia s’exprime en ces termes : « Nous sentons parfaitement que nous sommes sur la voie des défricheurs et donc que notre premier acte de libération doit être une prise de liberté par rapport aux modèles des mouvements antérieurs. Nous ne sommes pas un mouvement politique et nous n’avons ni pour ambition ni pour objectif de conquérir le pouvoir. Notre recherche est autre. Notre Internationale veut susciter, promouvoir, appuyer tous les efforts de recherche et d’action qui tendent à permettre aux communautés de base de prendre en charge leur développement et, à partir de là, à transformer la problématique de la construction nationale au sein des nations africaines, et de l’organisation interafricaine entre ces mêmes nations. Nous pensons que c’est le rôle des communautés de base qui peut donner sa signification à l’ensemble. Pour aller dans ce sens, un mouvement comme le nôtre doit s’engager à la fois dans la recherche, dans l’action, dans la formation et l’information».

   

Lors de la même assemblée, Joseph Ki-Zerbo évoque l’importance de constituer ce qu’il appelle le « bloc moteur historique (…), en l’établissant sur une nouvelle plate-forme idéologique destructrice de l’ancienne. En décidant que l’Afrique doit se développer elle-même, même et surtout si elle recourt à la coopération internationale nécessaire. En assainissant l’atmosphère culturelle polluée par des notions qui domestiquent notre esprit. En changeant les postulats et les axiomes. En donnant à chaque mot un sens nouveau. Bref, en mettant, comme disait Victor Hugo, « un bonnet rouge au vieux dictionnaire ».

 

Ses créateurs assignent à l’IAFD la mission de capitaliser les expériences africaines traduisant ces options fondamentales, dans le but d’établir des liens entre les stratégies et les pratiques qui les illustrent dans différents pays.

 

 

La grande transformation amorcée à l’initiative de Mamadou Dia, soutenue à la base par Léopold-Sédar Senghor, est alors l’une des références majeures qu’il s’agit d’éclairer, tant en méthodologie et en pratique qu’en recherche et stratégie. C’est un premier chaînon d’une action à mener sur un plan largement ouvert aux ressources historiques des espaces africains. Le grand projet ne trouva pas des conjonctures espérées au delà des étapes initiales, toutefois riches d’enseignement à notre portée.

 

Quelques décennies plus avant, la problématique de développement participatif apparaît plus que jamais comme une ligne de travail en mesure de répondre à des questions essentielles que pose la grande mutation que nous vivons. Le projet de création d’une Fondation Mamadou Dia devrait s’inscrire profondément dans cette voie. On peut mesurer, avec l’apaisement du temps qui va, à quel point l’héritage complémentaire des Pères de la stratégie de démocratie libératrice comporte de complémentarité. La Fondation Senghor est un outil indispensable pour promouvoir le message de l’importance de la culture des racines dans la création intellectuelle et littéraire du monde où nous vivons.

   

La Fondation Mamadou Dia, pour sa part, sera porteuse de l’importance de l’authenticité dans les stratégies, les politiques et les pratiques de développement. En lui donnant jour, nous nous référons aux alliances fondatrices du temps de l’avènement de la liberté. C’est un devoir sacré de mémoire prospective.

 

Les objectifs de l'Institut.

 

À la lumière de ces nécessaires éclairages historiques, nous devons nous reporter aux objectifs assignés à l’institution nouvelle, en parcourant les dimensions du chemin qui s’ouvre à elle.

 

Dans ses fonctions de sauvegarde et d’enrichissement des expériences africaines tendant à promouvoir le développement démocratique et participatif, le terrain à couvrir est immense. Il s’agit de réaliser une base de données expérientielles significatives, dûment instrumentées et raisonnées, dont les informations seront largement diffusables aux utilisateurs potentiels, tant acteurs de terrain engagés dans la pratique que chercheurs et comparatistes. Leur utilisation en terme de créativité littéraire et artistique pourra s’opérer par l’entremise de la Fondation Senghor, en fraternelle collaboration.

 

Un tel objectif suppose la création progressive d’un réseau entre les opérateurs des principaux gisements de données et des institutions de recherche, sans omettre les partenaires universitaires.  Créer un tel réseau doit aboutir à définir une méthode efficace de transfert et d’information utilisant les ressources du monde de l’informatique, et de l’audio-visuel. Nombre d’instances devraient être sollicitées pour l’établissement de partenariats utiles. De surcroît, à travers cette entreprise devrait pouvoir se mener en concertation un travail d’élaboration d’une vision des problématiques de développement, tant en termes d’idées, et de conception que dans leurs applications. La collaboration avec les historiens sera particulièrement prise en compte.

   

Parallèlement, il sera nécessaire de constituer un recueil de tous documents explicitant la pensée et l’expérience de Mamadou Dia et des équipes partenaires, dans  ses différentes applications, sous forme d’un fonds dédié à multiples usages.

    

Le Conseil scientifique de la Fondation devrait jouer un rôle essentiel pour le pilotage de ces lignes de travail.

 

Dans le même esprit et en corrélation avec les projets de constitution de références éclairantes et efficaces, la Fondation devra établir des filières de coopération particulière avec des organismes de formation, de recherche et d’application visant à concrétiser  la mise en œuvre du développement participatif. Cet objectif appelle une programmation partenariale à court, moyen et long terme, qui devra être soumise à la décision des instances compétentes de la Fondation, sous la responsabilité du Directeur général.

 

Des outils de promotion et de diffusion des opérations menées par la Fondation devraient voir le jour, avec le concours du Conseil scientifique, tels que colloques, conférences, stages d’information et de formation. De même que des publications, indispensables notamment pour nourrir les partenariats. On doit porter l’accent sur le travail de partenariat en réseau, qui correspond pleinement à la vision des engagements de Mamadou Dia au service du développement démocratique et participatif. Des antennes de la Fondation dans des pays impliqués devraient être, à ce titre, de précieuses bases de coopération.

                                             

Pour conclure

 

Pour conclure, je dois logiquement revenir à la parole de ce grand homme patriote et lucide, qui donne son nom à la Fondation et dont j’ai été le proche collaborateur à travers vents et marées, et aussi le disciple convaincu et reconnaissant. Mamadou Dia fut aussi, avec Senghor, en terme de socioculture africaine, pour moi  un maître d’initiation incomparable. J’ai en tête particulièrement ce message qu’il adressait à l’UNESCO lors du colloque qui célébrait le centenaire du Père Lebret, qui fut pour lui un compagnon inappréciable sur le chemin de la défense et de l’illustration de l’Économie Humaine : « L’objectif premier de ce colloque est de stopper la dérive dans laquelle nous sommes tous entraînés, riches du Nord et pauvres du Sud par la mondialisation abusive de l’économie de marché. Celle-ci, du fait de ses effets pervers, est devenue ruine de l’âme, source de désordre et de violence. Il convient de redonner sens à la vie et aux choses, à la science ainsi qu’à la technologie. Il faut, en un mot, réhumaniser le monde, sa culture et sa civilisation, substituer à la théologie du marché et de l’enrichissement sans borne, fille de la pensée unique, la mystique de la libération de l’homme et du bien commun. Il est urgent de repenser les cadres mêmes de la pensée, particulièrement ceux de la pensée économique et sociale, en restituant toute leur place aux valeurs immatérielles que le partage a la vertu d’enrichir. »

 

ROLAND COLIN

 

Roland COLIN 

Universitaire er socio-anthropologie, ancien directeur de cabinet de Mamadou Dia, nommé à la Présidence de la Fondation.

Communication au colloque de création de la Fondation Mamadou Dia.               

À Paris, le 29 mars 2022..

 

 

 

Retour